Marie-Gabrielle Bertran achève sa thèse en géopolitique à l’Université Paris 8 sur La souveraineté numérique en Russie : analyse géopolitique des enjeux et limites de la stratégie de cyber puissance russe. Elle rejoint le CIENS en janvier 2025 en tant que chercheuse post-doctorale où elle animera le pôle cyber et mènera un projet de recherche sur le continuum entre cybersécurité et cyberdéfense dans les conflits actuels au prisme des manœuvres cyber de la Russie.
À quel moment avez-vous commencé à vous intéresser au cyber et qu’est-ce qui a motivé cet intérêt ?
J’ai commencé à m’intéresser à l’informatique au début de mes années de lycée. L’un de mes amis a abandonné Windows et a commencé à utiliser Linux. J’ai suivi son exemple. Cela m’a permis de mettre un pied dans l’univers des distributions libres et open-source.
Je me suis passionnée pour la découverte des nouvelles distributions et des nouveaux environnements de développement. Je faisais régulièrement des installations, désinstallations et réinstallations sur mon premier ordinateur portable.
Les questions que je me suis posées m’ont rapidement amenée à considérer les problématiques de sécurité informatique
Au fil des conférences et des évènements auxquels j’assistais, mon cercle d’amis s’est constitué autour de techniciens et d’ingénieurs en informatique et sécurité informatique.
Certains films et ouvrages ont aussi contribué à renforcer mon attrait pour l’informatique et le domaine cyber, tels que la saga Matrix et quelques livres de science-fiction. Je pense en particulier au « Cycle du Programme conscience » de Frank Herbert, dont la lecture m’a marquée.
Comment avez-vous eu l’idée de votre thèse ? Pourquoi vous intéresser spécifiquement au cyber russe ?
J’ai élaboré ma recherche entre 2018 et le début de l’année 2019, alors que les autorités russes préparaient un projet de loi sur l’Internet souverain.
J’avais déjà eu la chance d’amorcer un travail de réflexion sur le rôle stratégique du numérique en Russie dans le cadre de mon Master.
Le choix de la Russie est lié aux échanges que j’ai eu avec des connaissances russes au début des années 2010 qui m’avaient permis de voir que le numérique et le cyber devenaient des secteurs économiques porteurs dans le pays. Au point que des jeunes entrepreneurs que je connaissais et qui vivaient en France désiraient retourner en Russie pour investir dans le numérique.
Et en quoi est-il important que le cyber soit au cœur de la thématique de la guerre hybride de la PSL Week du CIENS selon vous ?
En tant qu’application et usage militaires et stratégiques des attaques informatiques, le domaine cyber constitue un moyen intéressant pour entrer en conflit sans mener la guerre, c’est-à-dire pour attaquer et affaiblir un adversaire en restant « sous le seuil » de la guerre.
Durant la PSL Week, je vais travailler avec les étudiants autour du concept de « guerre hybride » et de la notion d’« hybridité », sachant qu’ils renvoient à des pratiques décrites depuis longtemps par les historiens de la guerre, qui font remonter leur usage au moins jusque dans l’Antiquité. J’ai en tête l’ouvrage de Jean-Vincent Holeindre, la ruse et la force, édition Perrin, 2017. Il sera donc intéressant de voir ce qu’apporte, voire éventuellement ce que change l’emploi du cyber à ces pratiques (de désinformation, déception et tromperie, démoralisation de l’adversaire). La réponse se situe sûrement en partie dans le fait qu’il s’agit d’un outil flexible, qui permet à la fois d’attaquer ses adversaires en restant dans la zone grise des conflits sous le seuil de la guerre, et de mener des opérations de soutien à ses forces armées dans la guerre, notamment au moyen d’opérations d’influence informationnelle et psychologiques dans le cyberespace (le champ cyber ou datasphère).