Centre interdisciplinaire sur les enjeux stratégiques (CIENS)

L’héritage intellectuel de Thérèse Delpech (1948-2012)

Journée d’étude du CIENS (Centre interdisciplinaire d’étude sur le nucléaire et la stratégie) – Le 12 octobre 2022 – Campus Jourdan

Le Centre interdisciplinaire d’étude sur le nucléaire et la stratégie a organisé une journée d’étude sur l’héritage intellectuel de Thérèse Delpech (1948-2012) ancienne normalienne, directrice de la prospective au Commissariat à l’Energie Atomique ainsi que philosophe soucieuse d’éviter un «ensauvagement du monde ».

Haute fonctionnaire spécialiste des questions internationales et stratégiques, Thérèse Delpech a été directrice de la prospective au Commissariat à l’Energie Atomique et membre de la commission des Nations Unies sur le désarmement en Irak. Elle était aussi une philosophe soucieuse de contribuer à éviter un « ensauvagement » du monde, un retour à la barbarie dont elle constatait l’émergence dans les relations internationales.

L’objectif de cette journée d’études était de revenir sur sa trajectoire professionnelle, de rendre compte de la circulation des notions et concepts de son œuvre et de prendre la mesure de son héritage intellectuel, aussi bien philosophique que stratégique.

Il a été proposé d’abord de revenir sur son parcours, en lisant et en relisant ses textes, mais aussi en écoutant le témoignage de ceux qui l’ont connue. Pour cette philosophe humaniste, l’histoire et la littérature étaient des outils de compréhension du monde : elle fut en effet une actrice essentielle de la stratégie de la dissuasion en France, dans la continuation des travaux de Pierre Hassner.

Ancienne élève de l’École normale supérieure, essayiste et chercheuse, ainsi que haute fonctionnaire au service de l’État, Thérèse Delpech s’inscrit dans l’interdépendance de la réflexion philosophique avec les propositions stratégiques. C’est qu’elle se propose de renouer avec une intelligence de l’histoire qui ne peut se faire sans une réflexion éthique. Son idéalisme ne l’empêche pas de formuler une sympathie pour le présent tout en prenant conscience de sa responsabilité pour l’avenir.

Face au triomphe d’une pensée abstraite du progrès technique qu’elle dénonçait pour mieux souligner la nécessité d’une intelligence de la situation et de l’exigence morale, son œuvre exprime la nécessité de renouveler notre compréhension de la « grammaire stratégique ». Ce renouvellement passe par une émancipation des préjugés du passé ainsi qu’une prise conscience des enjeux éthiques qu’elle suppose, par opposition à une omniprésence du machiavélisme dans les relations internationales. Son œuvre adopte pourtant un regard sombre sur la puissance et la montée de l’irrationalité dans le monde, notamment dans L’Ensauvagement (2005), car la poursuite d’idéaux n’était pas, pour elle, un obstacle à la formulation d’un constat lucide sur le monde contemporain. L’inquiétude face à un « retour de la barbarie » doit, selon elle, être le point de départ d’une réflexion sur l’avenir. Il faudrait en effet évaluer à la lumière des évènements contemporains les trois paris qu’elle propose à la fin de cet essai : l’intensification du terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive et l’évolution des relations sino-américaines, puisque « l’Asie est l’épicentre des affaires stratégiques et non seulement des affaires tout court ». Cette relecture n’occulterait pas la dimension non-consensuelle de certaines de ses positions, comme son soutien en faveur de l’intervention en Irak en 2003.

Il s’est agi aussi de réfléchir à la façon dont ses réflexions se prolongent aujourd’hui, puisque son œuvre tente de définir la nature et les conditions de l’activité politique, tout en faisant appel à l’action et à la transmission. Lire les travaux de Thérèse Delpech conduit à prendre conscience de l’importance d’une constitution d’une culture stratégique, qui se réaliserait par l’enseignement des enjeux stratégiques et de dissuasion nucléaire, par la transmission de savoirs entre États, et par une stratégie de coopération et de médiation.

Programme

10h45
Café d’accueil

11h30
Introduction

11h40
Table ronde 1

Regards croisés sur la trajectoire intellectuelle de Thérèse Delpech
Jean-Vincent Holeindre – Université Paris-Panthéon Assas / IRSEM
Ariel Levite – Carnegie Endowment for International Peace
George Perkovich – Carnegie Endowment for International Peace
Bruno Tertrais – Fondation pour la Recherche stratégique

Regards croisés sur Thérèse Delpech, son parcours professionnel et intellectuel, la réception critique de son œuvre à l’étranger, ses filiations intellectuelles – éléments de sociologie intellectuelle.

13h10
Déjeuner-buffet

14h15
Présentation : « L’ensauvagement » comme concept philosophique
Perrine Simon-Nahum – ENS-UIm
Quelle est la place de l’irrationnel en philosophie politique ? Quel rapport entretient-elle avec la violence ? Originalité et utilisation de ce concept dans le cadre d’une réflexion stratégique.

15h
Table ronde 2

Thérèse Delpech et la question des crises nucléaires

Modération : Tiphaine de Champchesnel – IRSEM

Héloïse Fayet – Institut français des relations internationales

Andreas Lutsch – Hochschule des Bundes für öffentliche Verwaltung / Institut für Geschichte

Dominique Mongin – École Normale Supérieure-UIm (CIENS)

Utilité de son œuvre pour comprendre les bouleversements stratégiques actuels et passés : retour de la guerre de haute intensité sur le sol européen après l’invasion de l’Ukraine, menaces nucléaires, émergence de puissances asiatiques, le cas particulier de l’Iran – comment ses grands concepts peuvent être mobilisés aujourd’hui : démission des nations, politique du chaos, barbarie dans les relations internationales.

16h10

Pause-café

16h20

Table ronde 2 (suite)

Thérèse Delpech et la question des crises nucléaires – l’Asie

Modération : Corentin Brustlein – Direction Générale des relations internationales et de la stratégie

Chung Min Lee – Carnegie Endowment for International Peace

Brad Roberts – Lawrence Livermore National Laboratory

Rakesh Sood – Observer Research Foundation

17h30

Conclusions générales

Quid du renouvellement des études stratégiques au XXIème siècle?

Corentin Brustlein – Direction Générale des relations internationales et de la stratégie

Mélanie Rosselet – CIENS

Existe-t-il une culture stratégique et de dissuasion commune aujourd’hui ? Comment éviter un désarmement intellectuel sur les enjeux stratégiques ?

18h15

Fin des travaux